Algérie : La constitution doit garantir pleinement les droits fondamentaux pour tous

[vc_row full_width=”stretch_row_content_no_spaces”][vc_column][vc_single_image image=”2629″ img_size=”full” add_caption=”yes” label=””][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]Le 3 février 2016, l’Assemblée populaire nationale et le Conseil de la Nation voteront sur un projet de révision constitutionnelle annoncé par le président Abdelaziz Bouteflika en 2011.

Apres avoir examiné le projet de révision constitutionnelle, Amnesty International a conclu que si certaines garanties fondamentales en matière de droits humains ont été renforcées et d’autres introduites, le projet de révision constitutionnelle continue de battre en brèche plusieurs principes du droit international relatif aux droits humains. La Constitution doit  garantir pleinement les droits fondamentaux pour tous, conformément aux obligations de l’Algérie au regard du droit international relatif aux droits humains.

L’IMPUNITE CONSOLIDEE

Les amendements proposés dans le préambule de la Constitution affirment le succès de la politique de « paix et de réconciliation nationale » et la volonté du peuple algérien de la préserver. Ainsi, les autorités ignorent les demandes des familles et des victimes qui se sont opposées aux mesures d’amnistie et qui continuent d’être privées de leur droit de connaître la vérité et d’obtenir justice et réparation.

Amnesty International estime que pour parvenir à une paix et une réconciliation nationale véritables, les autorités doivent prendre des mesures efficaces pour combattre l’impunité en adoptant et en mettant en œuvre des réformes visant à garantir la non-répétition d’atteintes graves aux droits humains. Amnesty International appelle les autorités à ratifier sans délai la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. L’Algérie ne l’a toujours pas fait, alors qu’elle a signé cet instrument en 2007.

L’ETAT D’EXCEPTION, D’URGENCE ET DE SIEGE

Le projet de révision constitutionnelle ne propose aucun changement aux dispositions actuelles  permettant au président de déclarer l’état d’urgence ou de siège (article 91) sans en spécifier la durée ou les droits auxquels il ne peut être dérogé. La Constitution se réfère à une loi organique qui n’a jamais été adoptée (article 92), laissant un vide juridique dangereux. De même, l’article 93, formulé de manière vague, permet toujours au président de déclarer l’état d’exception et de prendre des « mesures exceptionnelles » sans limite de temps spécifique et sans spécifier les droits auxquels il ne peut être dérogé.

Le Comité des droits de l’homme a déclaré que les mesures dérogeant aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) vis-à-vis de l’état d’urgence doivent être exceptionnelles et temporaires. Amnesty International appelle à l’introduction d’une loi organique sur les états d’urgence et de siège en accord avec les normes internationales.

LIBERTES D’ASSOCIATION, D’EXPRESSION ET DE MANIFESTATION

Amnesty International salue l’introduction de l’article 41 ter qui consacre la liberté des medias sans aucune forme de censure préalable. L’organisation craint cependant qu’en soumettant ce droit à la législation nationale et au « respect des constantes et des valeurs religieuses, morales et culturelle de la Nation », l’article 41 ter permette aux autorités de  réduire les dissidents au silence. Cet article doit être conforme aux obligations de l’Algérie au titre de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).

L’article 41bis garantie la liberté de manifestation pacifique mais ne l’accorde qu’aux citoyens algériens et la soumet aux lois nationales qui continuent de sanctionner pénalement les rassemblements pacifiques dans certaines circonstances. La loi algérienne requiert toujours une autorisation préalable pour la tenue de réunions et de rassemblements publics tandis que les manifestations publiques sont totalement interdites dans la capitale. Cet article doit être conforme aux obligations de l’Algérie au titre de l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).

L’article 43 garantit le droit de créer des associations tout en le soumettant à une loi organique, portant ainsi à croire qu’une nouvelle loi remplacera la loi 12-06 relative aux associations promulguée en 2012, qui impose des restrictions à la société civile algérienne. Amnesty International appelle les autorités à abroger la loi 12-06 relative aux associations et d’élaborer la nouvelle loi organique sur les associations en conformité avec les normes internationales relatives aux droits humains.

NON-DISCRIMINATION, LIBERTE DE RELIGION ET DROITS CULTURELS

L’article 29 de la Constitution consacre le principe de non-discrimination mais ne l’applique qu’aux citoyens Algériens. Amnesty International demande aux législateurs d’étendre ce droit à tous ceux sous sa juridiction.

L’islam reste la religion de l’Etat (article 2), il est interdit aux institutions de l’Etat d’exercer  des « pratiques contraires à la morale islamique » (article 9) et seul un musulman peut devenir président (article 73). L’article 36 de la Constitution reconnait la liberté d’exercice du culte. La liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix doit être garantie, ainsi que le droit de ne professer ou de pratiquer une religion. Amnesty International demande d’abroger les dispositions de la législation existante discriminatoires vis-à-vis des non-musulmans ou qui violent le droit à la liberté de religion.

L’article 3 bis érige le Tamazight en langue officielle et crée une académie pour soutenir son implémentation. Il est cependant difficile de savoir comment cette disposition sera mise en œuvre. Les mesures prises pour aider ceux qui auraient besoin d’accéder à l’information officielle en tamazight ne sont pas non plus clarifiées.

DROIT A UN PROCES EQUITABLE ET INDEPENDENCE DE LA JUSTICE

Le projet de révision de la Constitution renforce les garanties à un procès équitable dans les articles 45, 45 bis, 47, 48, 142 et 144  relatifs à la garde à vue et à la procédure pénale. Toutefois, le projet pourrait renforcer ces garanties, en incluant le droit d’être rapidement traduit devant un tribunal et le droit d’être jugé dans un délai raisonnable ou libéré.

Le projet de révision de la Constitution introduit le principe d’inamovibilité des juges (article 148) tout en suggérant l’introduction d’une nouvelle loi à cet égard. Cette avancée importante vers l’indépendance judiciaire est toutefois sérieusement compromise par les dispositions préservant l’influence du président sur le pouvoir judiciaire, qui nomme les membres clés de l’appareil judiciaire, notamment des juges (articles 78, 78-3 bis, 78-7) tout en se référant à une loi organique détaillant ces nominations. Selon la loi actuelle, le président nomme six des 20 membres du Conseil Supérieur de la Magistrature, un Conseil qui nomme, transfère et sanctionne par mesures disciplinaires les juges. Le président continue de présider le Conseil en vertu de l’article 154 de la Constitution tandis que le ministre de la justice en est le vice-président. Le président continue également de designer le président du Conseil Constitutionnel (Article 164).

Amnesty International demande aux législateurs algériens de renforcer l’indépendance de la justice en affirmant l’inamovibilité des juges sans ambiguïté et en s’assurant que la future loi sur le statut des juges incorpore les principes fondamentaux des Nations unies relatifs à l’indépendance de la magistrature. L’organisation demande également aux législateurs algériens de renforcer l’indépendance du Conseil Supérieur de la Magistrature, y compris à travers la future loi organique.

LE DROIT DE CIRCULER LIBREMENT ET LE RESPECT DE LA VIE PRIVEE

L’article 44 sur le droit de circuler librement ne s’applique qu’aux citoyens algériens et ne  précise pas que toute restriction doit être exceptionnelle, strictement limitée à celles autorisées à l’article 12(3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et qu’elle ne doit pas porter atteinte à l’essence même du droit de circuler librement.

L’article 39 renforce le droit à la vie privée en conditionnant toute restriction à ce droit à une réquisition motivée de l’autorité judiciaire. Amnesty International demande cependant aux législateurs de renforcer cette clause pour s’assurer que ces restrictions, telle que la surveillance des communications, soient strictement nécessaires et proportionnées à un but légitime au regard du droit international des droits humains, et que soient mises en place des garanties adéquates et effectives contre l’utilisation arbitraire et les abus.

TORTURE ET MAUVAIS TRAITEMENTS ET DROIT A LA VIE

Amnesty International salue la prohibition des traitements cruels, inhumains et dégradants (Article 34) mais regrette que la torture ne soit pas explicitement interdite. Le projet de révision de la Constitution devrait être modifié pour contenir une définition de la torture compatible avec l’article 1 de la Convention contre la torture. Il doit notamment interdire de manière explicite toutes les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, y compris les châtiments corporels ; préciser qu’aucune circonstance exceptionnelle quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ni aucun ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique, ne peut justifier de tels agissements ; et garantir qu’aucune information obtenue à la suite d’actes de torture ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants ne soit retenue à titre de preuve dans une procédure, quelle qu’elle soit, si ce n’est contre la personne accusée de torture pour établir qu’une déclaration a été faite.

Le projet de révision de la Constitution ne reconnait pas explicitement le droit à la vie. Bien qu’un moratoire soit en vigueur en Algérie depuis 1993, les tribunaux continuent de prononcer des sentences capitales. Amnesty International demande aux autorités algériennes de garantir le droit à la vie et d’abolir la peine de mort.

LES REFUGIES, LES DEMANDEURS D’ASILE ET LE PRINCIPE DE NON-REFOULEMENT

La Constitution algérienne interdit déjà le renvoi forcé de réfugiés politiques (article 69) mais ne mentionne pas le droit de demander asile. Elle ne reconnait pas non plus le doit d’échapper à la persécution et à d’autres formes de graves atteintes, conformément à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Amnesty International demande aux législateurs de veiller à ce que la Constitution énonce le droit d’être protégé contre le refoulement et garantisse une protection contre l’expulsion, l’extradition, le transfert ou tout autre type de renvoi judiciaire ou extrajudiciaire vers un pays ou un territoire où la personne renvoyée courrait un risque réel de subir de graves violations des droits humains.

DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET ENVIRONNEMENTAUX

Le projet de révision de la Constitution fait de nombreuses références aux droits économiques, sociaux et environnementaux. Il prévoit de mettre en place plusieurs organismes publics afin de soutenir la concrétisation de certains de ces droits. Cependant, le langage utilisé est souvent ambigu et n’offre pas des garanties constitutionnelles qui reflètent de manière adéquate les obligations de l’Algérie, en particulier le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). À cet égard, comme les autres États parties, l’Algérie doit donner effet à tous les droits énoncés dans le PIDESC dans le droit interne et le projet actuel de révision de la Constitution n’y parvient pas.                                                        

OBLIGATIONS DE L’ALGERIE EN MATIERE DE DROITS HUMAINS

Les articles 173-1 et 173-2 du projet de révision de la Constitution créent un Conseil National des Droits de l’Homme qui viendrait remplacer la Commission nationale consultative des droits de l’homme mais dont le mandat serait similaire. Amnesty International appelle les législateurs à s’assurer que le Conseil soit conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme, dits « Principes de Paris », qui offrent aux institutions nationales des droits de l’homme un large mandat pour protéger et promouvoir les droits humains, et qui appellent au pluralisme de leur composition et à leur indépendance.

Amnesty International appelle les législateurs à ajouter une clause maintenant que les droits et libertés inclus dans la Constitution s’imposent à tous les organes de l’Etat ; l’organisation demande également aux autorités de s’assurer que les droits stipulés dans la nouvelle Constitution soient applicables en droit national.

Publié le 02.02.2016

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