Maroc. Le procès des contestataires du Hirak entaché d’irrégularités

Des dizaines de journalistes, de manifestants et de citoyens appréhendés en lien avec les manifestations pacifiques du mouvement Hirak dans la région du Rif ont été privés de leur droit à un procès équitable par le tribunal de première instance de Casablanca, écrit Amnesty International dans son rapport dénonçant les graves irrégularités de procédure, qu’elle publie alors que se déroule la deuxième audience en appel.

En juin 2018, un tribunal de Casablanca a déclaré 54 personnes liées aux protestations en faveur de la justice sociale du mouvement du Rif coupables d’infractions liées à la sécurité et les a condamnées à des peines de prison allant jusqu’à 20 ans en lien avec les manifestations qui se sont déroulées à Al Hoceïma en 2016 et 2017. Onze d’entre elles se sont vues accorder une grâce royale en août et les 43 autres sont désormais rejugées par la cour d’appel de Casablanca. La cour a reporté la première audience au 17 décembre.

L’analyse du procès effectuée par Amnesty International dévoile plusieurs violations du droit à un procès équitable, notamment des condamnations fondées sur des « aveux » extorqués sous la torture. Elle  répertorie les noms des détenus, les chefs d’inculpation retenus à leur encontre et les peines prononcées.

« La procédure en première instance s’est soldée par une erreur judiciaire flagrante. Le gouvernement marocain a utilisé cette procédure légale entachée d’irrégularités pour sanctionner et réduire au silence d’éminents manifestants pacifiques qui réclament plus de justice sociale et pour dissuader les citoyens de s’exprimer, a déclaré Heba Morayef, directrice Afrique du Nord et Moyen-Orient à Amnesty International.

« Les autorités judiciaires du Maroc doivent veiller à ce que le procès en appel ne se résume pas à un nouveau simulacre de justice émaillé de plaintes pour torture et autres violations du droit à un procès équitable. Elles doivent montrer qu’elles sont déterminées à rendre justice et prendre des mesures concrètes afin d’écarter tous les aveux obtenus sous la torture ou la menace de torture et veiller à ce que tous les droits à un procès équitable soient respectés au cours de la procédure d’appel. »

Alors que le procès était lié aux manifestations, qui ont parfois dégénéré en affrontements avec les forces de sécurité, le parquet a introduit des chefs d’accusation graves et souvent disproportionnés, passibles des peines parmi les plus lourdes du Code pénal marocain, notamment « complot visant à porter atteinte à la sûreté intérieure de l’État », passible de la peine de mort.

Sur les 43 personnes rejugées devant la cour d’appel de Casablanca, quatre ont été remises en liberté à titre provisoire en juin et juillet 2017 et 39 purgent leurs peines à la prison Ain Sabaa 1 (Okacha), à Casablanca. Il s’agit entre autres de personnalités comme Nasser Zefzafi,  leader du mouvement Hirak dans le Rif, Najil Hamjike, ainsi que plusieurs autres manifestants pacifiques, dont Mohamed Jelloul, Achraf Yakhloufi, les journalistes Hamid El Mahdaoui et Rabie Lablak et les journalistes citoyens Mohamed El Asrihi, Rabie Lablak, Hussein El Idrissi, Fouad Essaidi, Abd El Mohcine El Attari.

Pour les besoins de son analyse, Amnesty International a interviewé six avocats des équipes de la défense et de l’accusation, ainsi que six familles de détenus, et a examiné les actes d’inculpation, les arguments du parquet, le jugement de la cour et les comptes rendus de l’affaire publiés par des organisations nationales et internationales et les médias.

Les informations recueillies révèlent un procès entaché de graves irrégularités et des dossiers montés à partir d’éléments douteux.

Au moment de leur arrestation, aucun des condamnés n’a pu consulter rapidement son avocat. Ils ont été transférés à plus de 600 kilomètres de Casablanca pour être interrogés : il a donc été très difficile pour les avocats de préparer leur défense et pour les familles de leur rendre visite. Plusieurs ont déclaré avoir signé des « aveux » en détention sous la torture ou sous la menace de la torture.

Nasser Zefzafi a déclaré à la cour d’appel de Casablanca que des policiers l’ont frappé lors de son arrestation le 29 mai 2017 et ont menacé de violer sa mère âgée devant lui. Le journaliste Rabie Lablak a déclaré au tribunal que des policiers l’ont asphyxié en lui fourrant un tissu imbibé d’un liquide nauséabond dans la bouche, lui ont ôté ses vêtements et ont fait venir des hommes masqués qui ont menacé de le violer collectivement, puis de le violer avec une bouteille, s’il ne signait pas des aveux.

Les interrogatoires et les déclarations que les accusés ont signés étaient en arabe, langue que 22 d’entre eux, originaires d’une région où le tamazight (berbère) est parlé, maîtrisent mal, voire pas du tout.

Dans son jugement, la cour s’est appuyée sur ces « aveux » signés comme seules preuves recevables, bien que tous soient revenus sur ces déclarations durant le procès.

Les accusés ont qualifié leurs conditions de détention d’inhumaines et certains sont détenus à l’isolement prolongé. Nasser Zefzafi a été placé à l’isolement plus de 15 mois pendant la durée de l’enquête pour des accusations liées à la sûreté de l’État, dans des conditions s’apparentant à de la torture. Hamid El Mahdaoui est détenu à l’isolement depuis plus de 470 jours, une période si longue qu’elle constitue un acte de torture.

Au tribunal, les prévenus étaient installés dans une cabine aux parois hautes et aux vitres teintées, une pratique dégradante qui nuit à la présomption d’innocence.

Par ailleurs, le tribunal a omis de fournir aux avocats de la défense avant l’ouverture du procès en septembre 2017 des éléments clés présentés par l’accusation – notamment des vidéos et des posts relayés sur les réseaux sociaux. Enfin, il a refusé d’entendre les témoignages de plus de 50 témoins de la défense. Sur les 34 témoins entendus au total, il n’a accepté que 12 témoins de la défense. 

Complément d’information

Les manifestations du mouvement Hirak dans le Rif ont débuté à Al Hoceïma, ville du nord du pays, et aux alentours en octobre 2016, après que Mouhcine Fikri, un poissonnier, est mort broyé par un camion de ramassage des ordures alors qu’il tentait de récupérer sa marchandise confisquée par les autorités locales. Les manifestants demandent la fin de la marginalisation de leurs communautés et revendiquent une meilleure justice sociale.

Entre mai et juillet 2017, les forces de sécurité marocaines ont arrêté des centaines de manifestants du mouvement Hirak, notamment les manifestants pacifiques El Mortada Iamrachen et Nawal Benaissa, ainsi que des dizaines de mineurs. Le tribunal d’Al Hoceïma continue de déclarer coupables des centaines de manifestants, journalistes et défenseurs des droits humains dans le cadre de procès qui sont loin de respecter les normes internationales d’équité.

Publié le 17.12.2018

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