Myanmar. De nouveaux éléments attestent de violations dans le cadre de l’opération que mène l’armée dans l’État d’Arakan

[vc_row full_width=”stretch_row_content_no_spaces”][vc_column][vc_single_image image=”6637″ img_size=”full” label=””][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]Les forces de sécurité du Myanmar bombardent des villages et empêchent des civils d’accéder à des denrées alimentaires et à une assistance humanitaire dans l’État d’Arakan, a déclaré Amnesty International le 11 février 2019, dans un contexte de répression depuis les attaques menées par le groupe armé appelé Armée d’Arakan début janvier. Par ailleurs, les forces de sécurité se servent aussi de lois vagues et répressives pour arrêter des civils dans la région.

« Ces dernières opérations rappellent une nouvelle fois que l’armée du Myanmar agit sans aucune considération pour les droits humains. Bombarder des villages habités et confisquer des denrées alimentaires n’est en aucun cas justifiable », a déclaré Tirana Hassan, directrice du programme de réaction aux crises à Amnesty International.

Amnesty International a reçu des informations selon lesquelles des divisions de l’armée qui ont commis des atrocités contre les Rohingyas en août et septembre 2017 ont de nouveau été déployées dans l’État d’Arakan ces dernières semaines.

« Bien que la communauté internationale ait condamné les atrocités commises par l’armée du Myanmar, tous les éléments laissent à penser qu’elle se rend de nouveau responsable de graves atteintes aux droits humains », a déclaré Tirana Hassan.

Ces violations interviennent après qu’une mission d’enquête de l’ONU a recommandé que de hauts responsables birmans fassent l’objet d’une enquête pénale et soient poursuivis pour les crimes de droit international commis contre la population des Rohingyas dans l’État d’Arakan, et contre des minorités ethniques dans l’État kachin et le nord de l’État chan.

Attaques menées par l’Armée d’Arakan

Le 4 janvier 2019, Jour de l’indépendance du Myanmar, un groupe armé ethnique rakhine, appelé l’Armée d’Arakan, a procédé à des attaques coordonnées contre quatre postes de police dans le nord de l’État d’Arakan, et aurait tué 13 policiers. L’Armée d’Arakan combat l’armée birmane au sein d’une alliance de groupes armés dans le nord du Myanmar et, s’intéressant depuis quelques années aux États chin et d’Arakan, y affronte sporadiquement les forces de sécurité.

Quelques jours après les attaques du 4 janvier, le gouvernement civil du Myanmar a ordonné une opération militaire afin d’« écraser » l’Armée d’Arakan, qualifié d’« organisation terroriste ». Des équipements et des troupes en grand nombre ont alors été déployés dans la région dont, selon des militants locaux et des médias, des soldats de la 99e division d’infanterie légère. D’après les recherches menées entre autres par Amnesty International, cette division a participé à des atrocités commises contre les Rohingyas en 2017 et contre les minorités ethniques dans le nord de l’État chan en 2016.

Selon l’ONU, au 28 janvier, plus de 5 200 hommes, femmes et enfants avaient été déplacés par les combats. Ils sont pour la plupart issus de minorités ethniques majoritairement bouddhistes, notamment les Mros, Khamis, Daingnets et Rakhines.

Amnesty International a interviewé au téléphone 11 personnes touchées par les combats, ainsi que des responsables humanitaires et des militants locaux de l’État d’Arakan. La plupart ont déclaré avoir fui leurs villages après que les forces de sécurité ont bombardé les alentours ou restreint la circulation des denrées alimentaires.

« L’armée birmane emploie les mêmes méthodes brutales depuis des décennies et doit rendre des comptes. Le Conseil de sécurité de l’ONU doit de toute urgence saisir la Cour pénale internationale de cette situation », a déclaré Tirana Hassan.

Attaques illégales

Trois personnes originaires d’Auk Pyin Nyar, village dont la majorité des habitants sont des Mros, dans le groupe de villages de Tha Lu Chaung, dans la municipalité de Kyauktaw, ont déclaré que deux obus d’artillerie ou de mortier ont explosé à une centaine de mètres de leur village, le 21 décembre 2018. Lorsqu’ils ont pris la fuite tôt le lendemain matin, ils ont entendu d’autres obus exploser dans le secteur.

« J’ai entendu des explosions d’artillerie lourde et certaines personnes ont même eu des vertiges », a raconté un paysan âgé de 64 ans.

Un autre paysan du même village, qui y est retourné quelques jours plus tard pour prendre des affaires, a déclaré que de l’argent avait été dérobé dans les maisons après la fuite de leurs occupants. Il en attribuait la faute aux soldats birmans, aperçus dans le village et aux alentours à ce moment-là.

Un jeune homme de 24 ans d’un village majoritairement mro, dans le groupe de villages de Tha Yet Pyin, dans la municipalité de Buthidaung, a raconté avoir entendu des tirs d’artillerie ou de mortier autour de son village le 13 janvier 2019. Les villageois ont fui vers le monastère local et, plus tard dans la journée, vers un camp informel pour personnes déplacées à Done Thein, dans le groupe de villages voisin de Kin Taung. Lorsqu’il est retourné dans son village quatre jours plus tard pour chercher des documents d’enregistrement de la famille, il a vu des maisons endommagées, ainsi que le bâtiment de l’école. Selon son témoignage, de l’argent avait été dérobé dans certaines habitations, au moment où les forces de sécurité du Myanmar contrôlaient l’accès au village.

Les médias ont relaté plusieurs autres épisodes violents. The Irrawaddy et Radio Free Asia ont signalé qu’un garçon de sept ans, Naing Soe, a été grièvement blessé lorsqu’un tir d’artillerie a explosé près de chez lui dans le groupe de villages de Tha Mee Ha, dans la municipalité de Rathedaung, vers le 26 janvier 2019. Selon Radio Free Asia, des soldats ont déclenché un engin explosif improvisé à proximité du village, avant d’ouvrir le feu. Ces deux médias ont relaté que les soldats avaient pillé des objets de valeur dans le village. The Irrawaddy a ajouté que le 16 janvier 2019, deux frères âgés de 18 et 12 ans ont été grièvement blessés lorsqu’un obus d’artillerie a explosé à côté de leur maison, dans la municipalité de Maungdaw.

Bien qu’Amnesty International n’ait pas pu établir avec certitude la responsabilité de l’armée birmane dans chaque attaque ayant causé des blessés ou endommagé ou détruit des biens civils, ces tactiques illégales sont depuis longtemps la marque de fabrique des opérations que mène l’armée contre les groupes armés. Dans un rapport de juin 2017, Amnesty International a recensé avec force détails les bombardements menés sans discrimination par l’armée du Myanmar lors de ses opérations dans l’État kachin et le nord de l’État chan, qui ont tué et blessé des civils, et causé le déplacement de milliers d’habitants.

« Ces attaques illégales sèment la peur dans de nombreux villages, a déclaré Tirana Hassan. Conséquence directe, des centaines, voire des milliers de civils ont fui leur foyer. »

Restrictions sur les denrées alimentaires et l’accès à l’aide

Une femme âgée de 34 ans originaire d’un village reculé de l’ethnie mro, dans la municipalité de Kyauktaw, a déclaré que des soldats et des policiers birmans limitaient la quantité de riz pouvant être amenée dans son village. Les habitants souffraient déjà des pénuries de denrées de base, car les affrontements ayant éclaté non loin en décembre 2018 les empêchaient de récolter le riz ou le bambou, une culture marchande.

Face à la détérioration de la situation, un groupe de villageois, dont cette femme de 34 ans, s’est rendu à un poste de police et à un poste de l’armée près du village de Taung Min Ku Lar pour demander la permission de ramener du riz dans leur village. Les forces de sécurité leur ont répondu qu’ils pouvaient en rapporter au maximum six piy (unité de mesure birmane qui équivaut à un container de 2,56 litres), s’ils étaient munis d’une lettre d’autorisation des forces de sécurité.

« Nous en avons discuté et avons conclu qu’il nous était impossible de vivre dans notre village, a-t-elle raconté. Nous ne voulions pas aller dans un camp [pour personnes déplacées], mais nous ne pouvions pas vendre ce que nous avions récolté dans la forêt, et ne pouvions pas obtenir suffisamment de nourriture. »

Le village s’est vidé de ses habitants, tout comme plusieurs localités voisines qui se trouvaient dans une situation analogue.

Un militant local a expliqué qu’il avait contribué à obtenir des lettres de recommandation de la police pour permettre aux habitants de circuler dans la municipalité de Kyauktaw, mais il leur est toujours interdit de transporter de la nourriture, au motif que les autorités cherchent à couper les lignes d’approvisionnement de l’Armée d’Arakan.

Les autorités du Myanmar ont imposé d’autres restrictions à l’accès à l’aide humanitaire dans l’État d’Arakan. Le 10 janvier, le gouvernement de l’État d’Arakan a interdit à toutes les agences de l’ONU et aux organisations humanitaires internationales, à l’exception du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et du Programme alimentaire mondial (PAM), de mener leurs activités dans cinq municipalités touchées par le conflit. Beaucoup ont dû interrompre leur assistance humanitaire, compromettant la réponse d’urgence et les efforts de secours dans l’une des régions les plus pauvres et les plus sous-développées du Myanmar.

Les autorités de l’État d’Arakan ont fourni, avec le CICR et le PAM, de l’argent et de l’aide en nature aux personnes déplacées par les combats, mais les bénéficiaires ont jugé cette aide insuffisante et mal adaptée. Plusieurs responsables humanitaires ont affirmé que les restrictions sont aussi un moyen de détourner l’attention de la communauté internationale des opérations de l’armée.

« Les autorités du Myanmar jouent délibérément avec la vie et les moyens de subsistance des civils. Comme nous l’avons constaté maintes fois, la priorité des militaires n’est pas de protéger les habitants pris entre deux feux, mais plutôt de dissimuler aux yeux de la communauté internationale les violations des droits humains qu’ils commettent », a déclaré Tirana Hassan.

Usage de lois abusives et possibles détentions arbitraires

Les forces de sécurité du Myanmar se servent de lois abusives pour arrêter et poursuivre des civils considérés comme des partisans de l’Armée d’Arakan, suscitant des craintes quant à des détentions arbitraires et d’éventuels mauvais traitements.

Au cours des jours qui ont suivi les combats du 13 janvier 2019 dans le groupe de villages de Tha Yet Pyin, la police a embarqué un chef de village de l’ethnie mro, Aung Tun Sein, et au moins 10 hommes pour les interroger. Ils ont ensuite été relâchés, mais quelques jours plus tard, Aung Tun Sein a été convoqué à un poste de la police des frontières. Depuis, il se trouve en détention, actuellement à la prison de Buthidaung.

Dans un rapport de juin 2018, Amnesty International recensait les actes de torture et autres traitements inhumains infligés aux hommes et garçons rohingyas dans les postes de la police des frontières dans le nord de l’État d’Arakan.

Ses proches et d’autres chefs de villages n’ont pas été en mesure de déterminer où se trouvait Aung Tun Sein pendant plus d’une semaine après son arrestation. L’armée birmane l’aurait accusé d’avoir renseigné l’Armée d’Arakan sur les mouvements de troupes. Un villageois a déclaré qu’Aung Tun Sein était inculpé d’infractions au titre de la Loi relative aux associations illégales, loi vague et répressive souvent invoquée pour engager des poursuites notamment contre des militants et des journalistes dans les zones de conflit.

Selon des militants locaux et des médias, les détentions arbitraires et l’utilisation de lois vagues et répressives caractérisent l’opération menée par l’armée dans l’État d’Arakan. D’après The Irrawaddy, 26 personnes ont été arrêtées le 4 février pour association illégale présumée avec l’Armée d’Arakan. Il a également signalé qu’environ 30 administrateurs de villages ont présenté leur lettre de démission en janvier, craignant d’être injustement poursuivis pour association illégale.

Publié le 14.02.2019

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