Maroc et Sahara occidental. Recours excessif à la force contre des manifestants sahraouis qui célébraient la victoire de l’Algérie à la CAN

Les autorités marocaines doivent ouvrir une enquête impartiale et efficace sur le recours excessif à la force par les forces de sécurité, à Laayoune, contre des manifestants et manifestantes sahraouis qui célébraient la victoire de l’équipe de football d’Algérie à la Coupe d’Afrique des nations le 19 juillet, a déclaré Amnesty International jeudi 1er août 2019.

 L’organisation a analysé des vidéos et recueilli des témoignages indiquant que les forces de l’ordre, très présentes dans les rues et les cafés durant le match de football,avaient eu recours à une force excessive, jetant des pierres pour disperser la foule des manifestant·e·s et déclenchant des heurts. Selon deux témoins, une jeune femme de 24 ans, Sabah Njourni, a été tuée, fauchée par deux véhicules des forces auxiliaires marocaines.

Des éléments probants laissent à penser que la réaction des forces de sécurité marocaines aux manifestations sahraouies, qui avaient commencé de manière pacifique, a été excessive et a provoqué de violents affrontements qui auraient pu être et devraient avoir été évités. Les autorités doivent ouvrir une enquête impartiale et efficace sur les attaques menées contre les manifestant·e·s et traduire en justice, dans le cadre d’un procès équitable, toute personne soupçonnée d’en être responsable.

Magdalena Mughrabi,directrice adjointe pour l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International

Les heurts entre les manifestants sahraouis et les forces de sécurité marocaine sont éclaté peu après que les Sahraouis sont descendus dans les rues de Laayoune avec des drapeaux algériens et sahraouis, scandant des slogans célébrant la victoire de l’Algérie et réclamant l’autodétermination pour le peuple sahraoui.Les témoignages et les vidéos montrent que les forces de sécurité marocaines sont intervenues en lançant des pierres et ont utilisé des lanceurs de balles de défense, des gaz lacrymogènes et des canons à eau pour disperser les manifestants. Ceux-ci ont réagi en renvoyant les pierres sur les policiers.

Dans une déclaration officielle, les autorités locales de Laayoune ont affirmé qu’un groupe « mené par des éléments hostiles » avait profité des célébrations de la victoire pour se livrer au vandalisme et au pillage, et que les forces de sécurité avaient été obligées d’intervenir pour protéger lesbiens publics et privés. Elles ont aussi indiqué qu’une banque avait été incendiée et que plusieurs dizaines de membres des forces de l’ordre avaient été blessés, dont quatre se trouvaient dans un état critique.

Des militants et militantes ont fait état de dizaines de blessés parmi les manifestants sahraouis, les supporters de football et les passants. Selon certaines sources, jusqu’à 80 personnes auraient été blessées, mais leur nombre exact reste difficile à déterminer car beaucoup ne sont pas allées se faire soigner à l’hôpital, par crainte des représailles.

Dans une vidéo analysée par Amnesty International, on voit un agent des forces de l’ordre tendre les bras en position « Weaver », une position de tir couramment adoptée par les policiers quand ils s’apprêtent à faire feu. Cet homme semble ensuite tirer avec son pistolet en direction de la foule. Or, les Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois disposent que les agents de la force publique doivent avoir épuisé tous les moyens non violents avant de recourir à la force. Ils prévoient également que les autorités doivent faire preuve de retenue et ne recourir à l’usage d’armes à feu que pour se protéger ou protéger autrui d’une menace imminente de mort ou de blessure grave.

Des témoins ont aussi raconté que les forces auxiliaires marocaines avaient commencé à poursuivre des supporters avec des véhicules de police et, selon un témoignage, avaient renversé au moins trois personnes. Deux personnes au moins ayant assisté à la mort de Sabah Njourni ont indiqué qu’elle avait été heurtée par deux véhicules des forces auxiliaires,qui avaient accéléré en sa direction et ne s’étaient pas arrêtés pour lui porter secours ou vérifier comment elle allait. Des images satellite analysées par Amnesty International et recoupées avec des vidéos filmées au moment où la jeune femme a été renversée montrent qu’elle se trouvait sur un passage piéton ou juste à côté.

La mort de Sabah Njourni semble résulter directement du manque de retenue de la police. Il est crucial que l’enquête annoncée par les autorités marocaines au sujet de ce décès soit exhaustive, impartiale et efficace, et que ses conclusions soient rendues publiques. Tout membre des forces de sécurité identifié comme responsable de la mort de cette jeune femme doit être traduit en justice.

L’une des deux personnes ayant témoigné de la scène, une militante sahraouie qui souhaite rester anonyme pour des raisons de sécurité, a décrit ainsi le moment où Sabah Njourni a été renversée par les véhicules des forces de sécurité :

« S’ils avaient voulu ralentir, ils auraient pu le faire, la rue était déserte,a-t-elle déclaré. La jeune fille arrivait en courant d’une autre rue, elle était sur le passage piéton, mais ces deux voitures des forces auxiliaires roulaient extrêmement vite – c’est un quartier d’habitation, ils ne devraient pas rouler si vite. »

Cette témoin a raconté que la première voiture avait heurté Sabah Njourni, la projetant dans les airs, et que la deuxième lui avait ensuite roulé dessus. La jeune femme est morte des suites de ses blessures peu après son arrivée à l’hôpital.La militante a par ailleurs indiqué qu’une autre personne renversée par une voiture ne s’était pas rendue à l’hôpital par crainte des représailles des autorités.

Un autre militant a raconté à Amnesty International avoir vu, à un autre endroit,un manifestant sahraoui renversé par une voiture des forces auxiliaires. Cette personne, qui a été grièvement blessée – jambe et épaule fracturées –a souhaité garder l’anonymat par crainte des représailles.

Un troisième témoin a expliqué à Amnesty International qu’il avait lui-même failli être renversé par un véhicule de police qui zigzaguait et qui a accéléré en sa direction. Il a également déclaré que les forces auxiliaires roulaient sur les trottoirs et à contre-sens afin de faire peur aux gens et de les harceler.

Selon des militant·e·s, au moins 13 personnes ont été arrêtées durant ces manifestations – neuf adultes et quatre adolescents âgés de 14 à17 ans. Les neuf adultes ont été inculpés de vandalisme, usage de la force, obstruction de la circulation sur une voie publique, harcèlement et outrage aux autorités. Il leur est aussi reproché d’avoir provoqué un bain de sang de manière préméditée. Les quatre mineurs seront jugés en septembre.

Les autorités marocaines, qui administrent le Sahara occidental, continuent d’imposer des restrictions arbitraires aux droits des Sahraouis à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association.Les forces de sécurité marocaines ont eu recours à une force excessive pour disperser des manifestations pacifiques, et des militant·e·s sahraouis ont été la cible de harcèlement, de manœuvres d’intimidation et de poursuites simplement pour avoir exprimé leurs opinions et exercé d’autres de leurs droits fondamentaux.