Égypte. La crise des droits humains s’aggrave, un an après le lancement de la stratégie nationale en matière de droits humains

Les autorités égyptiennes n’ont pour l’instant pas fait preuve d’une véritable volonté de reconnaître, encore moins de combattre, la profonde crise des droits humains que connaît le pays malgré le lancement d’une stratégie nationale en matière de droits humains il y a un an. Au lieu de cela, elles ont continué à étouffer les libertés et à commettre des crimes au regard du droit international en amont de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP27), a déclaré Amnesty International mercredi 21 septembre.

Le président Abdel Fattah al Sissi doit reconnaître l’ampleur de la crise des droits humains, dont son gouvernement est responsable, et prendre des mesures concrètes afin de la résoudre

Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International

Dans un nouveau rapport intitulé Égypte. Une stratégie nationale déconnectée de la réalité occulte la crise des droits humains, Amnesty International présenteune analyse détaillée de cette stratégie à la lumière de la situation des droits humains sur le terrain, révélant que les autorités l’ont utilisée comme outil de propagande afin de dissimuler la répression croissante de toute forme d’opposition, à l’approche de la COP27 de novembre 2022.

« Les autorités égyptiennes ont créé la stratégie nationale en matière de droits humains pour l’agiter de manière ostentatoire afin de dissimuler leurs atteintes continuelles à ces mêmes droits, pensant ainsi pouvoir leurrer le monde entier avant la COP27. Mais une opération de relations publiques ne saurait camoufler la sombre réalité de leur mauvais bilan notoire en matière de droits humains », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.

« La communauté internationale ne doit pas être dupe des tentatives de l’État égyptien visant à cacher l’ampleur de la crise des droits humains dans le pays. Elle doit au contraire faire pression sur les autorités égyptiennes en public et en privé, afin que celles-ci prennent des mesures concrètes pour mettre fin au cycle de violations et d’impunité, en commençant par libérer les milliers de personnes ayant exprimé des critiques et d’opposant·e·s, arbitrairement détenus dans les prisons égyptiennes, par relâcher son contrôle sur la société civile et par autoriser les manifestations pacifiques. »

Le nouveau rapport d’Amnesty International s’appuie sur de nombreuses informations faisant état de violations des droits humains systématiques commises en Égypte depuis l’arrivée au pouvoir du président Abdel Fattah al Sissi, ainsi que sur des éléments recueillis depuis le lancement de la stratégie nationale en matière de droits humains auprès de diverses sources, parmi lesquelles des victimes, des témoins, des défenseur·e·s des droits humains et des avocat·e·s. L’organisation a également consulté des documents officiels, des éléments de preuve audiovisuels, et des rapports élaborés par des organes des Nations unies, entre autres. Des conclusions et recommandations ont été communiquées aux autorités égyptiennes le 7 septembre 2022.

Une image trompeuse

Depuis le lancement de la stratégie, les autorités égyptiennes ont régulièrement fait référence à celle-ci en public et lors de réunions privées avec d’autres gouvernements, comme preuve de leur engagement en faveur des droits humains. Cette stratégie sur cinq ans a été élaborée par le gouvernement sans qu’aucune organisation de défense des droits humains n’ait été consultée, ni aucune participation du public, et présente une image profondément trompeuse de la crise des droits humains en Égypte. Elle exonère les autorités de toute responsabilité, en rejetant la faute sur les menaces à la sécurité, les difficultés économiques et les citoyen·ne·s égyptiens eux-mêmes au prétexte qu’ils « peinent à comprendre » leurs droits et ne les exercent pas.

La stratégie fait l’éloge du cadre constitutionnel et juridique, tout en passant sous silence l’introduction et l’application par les autorités d’une série de lois répressives criminalisant en pratique, ou restreignant fortement, l’exercice des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Ces lois ont continué à éroder les garanties d’équité des procès, et consacré l’impunité des forces de sécurité et de l’armée.

Cette stratégie tait également le bilan choquant des autorités depuis 2013 en matière de répression de l’opposition ; des milliers de personnes se trouvent en effet toujours en détention arbitraire ou font l’objet de poursuites injustes. Au cours des seules deux dernières années, des dizaines de personnes sont mortes en prison après qu’on les a délibérément privées de soins de santé et détenues dans des conditions cruelles et inhumaines.

Ces derniers mois, à la faveur d’une mesure positive mais très limitée, des dizaines de prisonniers et prisonnières d’opinion et d’autres personnes détenues pour des motifs politiques ont été remises en liberté. Les autorités continuent cependant à arrêter de manière arbitraire des dizaines d’autres critiques et opposant·e·s, tandis que de nombreuses personnes relâchées ne sont pas autorisées à voyager.

Depuis 2013, les autorités ont également censuré des centaines de sites Internet, effectué des descentes dans les locaux de médias indépendants, qu’elles ont ensuite contraints à cesser leurs activités, et arrêté des dizaines de journalistes qui avaient exprimé des opinions critiques ou simplement fait leur travail.

La stratégie nationale en matière de droits humains ne tarit pas d’éloges sur l’engagement de l’État en faveur des « principes d’égalité et de non-discrimination » et énumère certaines des initiatives menées par des instances officielles. Amnesty International a constaté que les autorités continuent à soumettre des hommes, des femmes et des enfants à des violations des droits fondamentaux sur la base de leur sexe, de leur identité de genre, de leur orientation sexuelle et de leurs convictions religieuses.

« Aucune stratégie ne protégera notre droit à la liberté d’expression ni ne concrétisera la coexistence pacifique des différentes communautés, tant que seront maintenues en détention des personnes arrêtées en raison de leurs opinions, d’idées qu’elles ont exprimées ou parce que leur version de certains événements diffère de celle imposée par l’État », a déclaré à Amnesty International Mona Seif, défenseure des droits humains de renom. Son frère, Alaa Abdelfattah, a déjà passé la majeure partie de la présidence d’Abdel Fattah al Sissi en détention arbitraire.

La stratégie nationale en matière de droits humains donne trop d’importance aux prétendues réussites du gouvernement concernant les droits socio-économiques, qui contrastent fortement avec l’incapacité des autorités à concrétiser ces droits de manière progressive, mais également avec leurs attaques constantes contre les personnes qui expriment leurs revendications socio-économiques, notamment les travailleurs et travailleuses, les professionnel·le·s de la santé et les résident·e·s des quartiers informels.

Dans l’ensemble, la stratégie nationale en matière de droits humains exagère le rôle des garanties constitutionnelles et juridiques, et n’explique en outre pas que celles-ci ne sont pas conformes aux obligations de l’Égypte en vertu du droit international, ni qu’elles sont en pratique largement bafouées. Elle néglige totalement les violations des droits humains érigées en système, que ce soit actuellement ou par le passé, et ne prend pas en considération le rôle des forces de sécurité, des procureurs et des juges lorsque des violations des droits humains sont commises ou facilitées.

Amnesty International salue certaines des modestes recommandations faites dans le cadre de la stratégie nationale en matière de droits humains, présentées comme des « résultats cibles », notamment le réexamen de crimes passibles de la peine de mort et les solutions de substitution à la détention provisoire, ainsi que l’introduction d’une loi générale de lutte contre les violences à l’égard des femmes. Dans l’ensemble, cependant, les « résultats cibles » ne visent pas du tout à remédier à l’ampleur de la crise des droits humains et de l’impunité dans le pays. Pour obtenir de véritables avancées sur le terrain des droits humains en Égypte, il faut que les autorités commencent par libérer les milliers de personnes détenues arbitrairement pour avoir exercé leurs droits fondamentaux de manière pacifique. Les enquêtes pénales à caractère politique visant des défenseur·e·s des droits humains doivent être clôturées, et l’ensemble des interdictions de se déplacer, des gels d’avoirs et autres restrictions doivent être levés. Des enquêtes pénales portant sur des crimes au regard du droit international et d’autres violations graves des droits humains commis par les forces de sécurité doivent être ouvertes, dans le but de traduire les responsables présumés en justice. Ces crimes incluent les homicides illégaux de centaines de manifestant·e·s et des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et des disparitions forcées.

« Le président Abdel Fattah al Sissi doit reconnaître l’ampleur de la crise des droits humains, dont son gouvernement est responsable, et prendre des mesures concrètes afin de la résoudre. Compte tenu de la portée de la crise des droits humains et de l’impunité, et de l’absence de la volonté politique nécessaire afin d’inverser le cours des choses, la communauté internationale doit soutenir les efforts visant à établir un mécanisme de suivi et de signalement au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, en rapport avec la situation des droits humains en Égypte », a déclaré Agnès Callamard.

Complément d’information

L’Égypte doit accueillir la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP27) à Charm el-Cheikh en novembre. Des groupes de défense de l’environnement et des droits humains ont exprimé leurs inquiétudes face à la restriction des actions de protestation à des « zones désignées », et à la capacité limitée de la société civile égyptienne à véritablement participer sans crainte de représailles.