Tunisie. Les condamnations de six civils par des tribunaux militaires doivent être annulées

Les tribunaux militaires tunisiens devraient immédiatement annuler les condamnations récentes de six civils, parmi lesquels quatre politiciens de l’opposition et un avocat de renom, et relâcher ceux qui ont déjà été placés en détention, a déclaré Amnesty International jeudi 2 février.

Le 20 janvier, la Cour d’appel militaire a condamné Seifeddine Makhlouf, Maher Zid, Nidhal Saoudi, et Mohamed Affes, politiciens de l’opposition, à des peines allant de cinq à 14 mois de prison pour « outrage à fonctionnaire public », troubles à l’ordre public et, dans le cas de Nidhal Saoudi, menaces à fonctionnaire public, en relation avec un différend les ayant opposés à des policiers à l’aéroport international de Tunis, a déclaré à Amnesty International Anour Ouled Ali, un de leurs avocats. La Cour a aussi condamné l’avocat Mehdi Zagrouba et un autre homme, Lotfi Mejri, pour la même affaire.

Il est prévu que Seifeddine Makhlouf, qui est incarcéré depuis le 20 janvier, conteste sa condamnation par contumace lors d’une audience le 3 février.

« Ces condamnations ne sont que le dernier chapitre en date d’une histoire plus large dans laquelle des civil·e·s sont jugés par des tribunaux militaires sous le président Kaïs Saïed. Les tribunaux militaires tunisiens ne sont pas dotés de l’indépendance requise par le droit international, et ces poursuites répressives et injustes doivent cesser immédiatement », a déclaré Amna Guellali, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

Les tribunaux militaires tunisiens ouvrent de plus en plus fréquemment des enquêtes et des poursuites contre des personnes civiles depuis que le président Kaïs Saïed s’est emparé du pouvoir le 25 juillet 2021, sur fond de détérioration plus large des droits fondamentaux.

Le 15 mars 2021 à l’aéroport international de Tunis, les quatre politiciens et Mehdi Zagrouba sont intervenus face à des policiers qui appliquaient une interdiction arbitraire de quitter le pays contre une femme qui essayait de se rendre à l’étranger, a déclaré Seifeddine Makhlouf à Amnesty International dans un entretien en 2022.

Les quatre politiciens sont membres de la coalition Al Karama, qui s’oppose au président Saïed, et avaient été députés avant que Kaïs Saïed ne dissolve le Parlement par décret le 30 mars 2022. Un procureur militaire a ouvert une enquête contre eux en relation avec la confrontation à l’aéroport, peu après que le président Saïed a retiré aux députés leur immunité parlementaire par décret le 29 juillet 2021.

Outre les condamnations prononcées contre les quatre politiciens après cet incident, la Cour militaire d’appel a condamné Mehdi Zagrouba à 11 mois de prison et lui a interdit de pratiquer le droit pendant cinq ans, pour « outrage » et agression contre un fonctionnaire, et troubles à l’ordre public, selon Anour Ouled Ali.

La Cour a par ailleurs condamné Lotfi Mejri à trois mois d’emprisonnement avec sursis. Il se trouvait à l’aéroport et a utilisé son téléphone portable pour saisir des images de la confrontation entre la police et les politiciens et Mehdi Zagrouba.

La Cour ayant jugé Seifeddine Makhlouf par contumace, il est autorisé à contester cette décision, conformément au droit tunisien.

Des tribunaux civils ont également enquêté sur ces six hommes en relation avec ces mêmes faits, et jugé et condamné trois d’entre eux – Seifeddine Makhlouf, Mehdi Zagrouba et Maher Zid – pour « outrage à fonctionnaire public ». Le 21 mars 2022, la Cour de district de Tunis les a condamnés à trois mois de prison. Le tribunal de première instance de Tunis a plus tard converti la peine de Seifeddine Makhlouf en trois mois avec sursis.

Si certaines des charges retenues contre ces six hommes par des tribunaux militaires sont liées à des infractions reconnues par le droit international, elles auraient uniquement dû donner lieu à des enquêtes et des procès devant la justice civile.

Amnesty International considère que la compétence des tribunaux militaires ne doit s’exercer que sur les membres des forces armées poursuivis pour des infractions à la discipline militaire.

L’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel la Tunisie est partie, garantit le droit à un procès public et équitable devant un tribunal « compétent, indépendant et impartial établi par la loi ».

Le président Kaïs Saïed est le commandant en chef des forces armées et prend la décision finale lors de la désignation des juges et des procureurs auprès des tribunaux militaires. Les procureurs militaires sont également des membres des forces armées en service actif, et sont donc susceptibles de faire l’objet de procédures disciplinaires. Les tribunaux militaires tunisiens ne sont par conséquent pas indépendants selon la définition donnée par le droit international.

L’article 14 du PIDCP interdit par ailleurs aux tribunaux de poursuivre quiconque pour une infraction pour laquelle cette personne a déjà été condamnée ou acquittée au terme d’un procès, sauf circonstances exceptionnelles.

Complément d’information

Le 25 juillet 2021, le président Kaïs Saïed a suspendu le Parlement et évincé le chef du gouvernement tunisien, invoquant des pouvoirs d’exception prévus selon lui par la Constitution.

Il a depuis lors dissous le Parlement par décret, supervisé l’adoption d’une nouvelle Constitution qui met en péril les droits humains, et adopté des décrets-lois qui fragilisent l’indépendance de la justice, la liberté d’expression, et le droit à la vie privée.

Les autorités ont pris pour cible les principales personnes qui critiquaient le président Kaïs Saïed ou qui étaient perçues comme des ennemies du président, avec des mesures incluant une interdiction arbitraire de voyager et un placement arbitraire en résidence surveillée, tandis que des personnes exerçant simplement leur droit à la liberté d’expression ont été poursuivies.